BENJAMIN DUTREUX
Objectif ? Gagner le Vendée Globe, un jour…
Benjamin Dutreux est l’un des visages montants de la course au large française. Originaire de Vendée, il s’est fait connaître par sa ténacité et son humilité, notamment lors du Vendée Globe 2020, qu’il termine à une brillante neuvième place. Passionné de voile depuis l’enfance, il a su transformer cette passion en un véritable projet de vie. Navigateur engagé, il défend également des valeurs fortes autour de l’écologie et de la solidarité. À la tête de sa propre structure, il jongle entre performance sportive et gestion entrepreneuriale. Ce marin complet impressionne par sa capacité à fédérer et à progresser saison après saison. Il fait aujourd’hui partie des skippers à suivre de très près sur les grandes courses au large.

Tu as vécu à La Baule pendant plusieurs années. Raconte-nous cette période
J’y ai passé presque cinq ans ! Je vivais en plein centre de La Baule et je travaillais au Pouliguen, dans une entreprise de construction navale appelée Sirena Voile, en tant que responsable technique dans cette entreprise qui développe et construit des dériveurs et catamarans de sport. J’étais souvent entre deux clubs de voile : le CNBPP (Cercle Nautique La Baule – Pouliguen – Pornichet) au Pouliguen, et aussi très régulièrement à l’APCC, le club nautique nantais basé à Pornichet. J’ai eu la chance de beaucoup naviguer dans cette magnifique baie de La Baule.
La voile, c’est une passion de toujours ?
J’ai découvert la voile vers l’âge de huit-dix ans, lors d’un stage d’été sur l’île d’Yeu. C’est là que j’ai ressenti mes premières sensations de navigation. Et quand on voit la baie de La Baule, avec une dizaine de clubs de voile, c’est vraiment un terrain de jeu exceptionnel pour apprendre, que ce soit pour les jeunes ou pour les adultes.
Ce qui m’a vraiment attiré ensuite, c’est l’aspect compétition. Depuis tout petit, j’ai toujours adoré les activités physiques, mais sur l’île d’Yeu, la voile de compétition n’était pas très développée. J’ai alors rejoint une école de voile à Fromentine, en Vendée. J’y ai rencontré des personnes formidables, notamment l’ancien champion olympique Luc Pillot — aujourd’hui président de l’APCC — et aussi la famille Laudet, au Pouliguen, qui m’ont transmis leur passion pour la technique, et la mer.. C’est grâce à eux que tout a pris forme !
Je n’ai jamais vraiment eu de modèle précis. Ce sont surtout les rencontres et les opportunités qui m’ont guidé.
Et comment s’est fait le passage à la course au large ?
À l’époque, j’étais bien installé dans mon boulot à La Baule, dans une super ambiance. Puis un jour, j’ai parlé avec mon ancien patron, Jean-Christophe Amédée-Manesme, je lui ai dit que j’avais été sélectionné pour intégrer un groupement qui formait à la course au large. Jusque-là, je faisais de la course olympique, des formats courts, et je n’avais encore jamais passé une nuit en mer !
Je lui ai demandé s’il m’autorisait à tenter l’expérience. Il m’a répondu : « Vas-y, fonce. » et j’ai accroché tout de suite ! J’ai notamment participé au Tour de France à la voile avec Nantes Saint-Nazaire. Et l’année suivante, je lui ai dit : « Je crois que je veux vraiment tenter une carrière dans la course au large. » J’ai donc quitté mon poste, je suis revenu en Vendée, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie, mes terres d’origine pour faire mes premiers bords sur le Circuit Figaro.


Qu’est-ce qui te plaît dans ce sport si particulier ?
C’est un sport unique ! Il mêle la technique, l’amour de la mer, la compétition… et une dimension très personnelle. Parce qu’on est seul en mer, on doit puiser en soi, affronter les éléments. Et même si la préparation se fait en équipe, le moment de vérité, c’est en solitaire !
Ce que j’aime, c’est cette part d’exploration : on découvre l’océan, mais surtout, on se découvre soi-même. C’est bien plus qu’un sport, c’est une aventure ! Quand on part, on ne sait jamais vraiment ce qui nous attend. On craint tout : la chaleur de l’Équateur, le froid du Sud, la solitude, le manque de préparation physique ou technique. Mais c’est aussi ce qui rend ça aussi fort.
D’ailleurs, c’est assez paradoxal, mais j’ai eu plus d’appréhension pour mon deuxième départ que pour mon premier Vendée Globe. Parce que là, je savais à quoi m’attendre…
Quand tu es en mer, à qui tu parles ? Comment tu gères la solitude ?
Je pense qu’on développe un deuxième personnage. Il y a moi à terre, et moi en mer, c’est deux facettes différentes ! Ce n’est pas tant l’isolement qui change les choses, mais la compétition. Quand je m’engage dans quelque chose, je le fais à 200 %, alors je vis tout intensément !
Et en mer, je cherche des sources de stimulation : la compétition, la sensation du vent, la technologie, le plaisir d’avancer… Ce sont ces petits déclics qui me permettent de surmonter les moments les plus durs, ceux où l’on se retrouve à pleurer seul au fond du bateau… et où il faut malgré tout réussir à trouver l’énergie pour continuer !
Au fond, ce n’est pas un projet de 77 jours, comme le temps de mon dernier Vendée Globe, c’est un projet de trois ans. Trois ans d’équipe, d’investissement, avec le soutiens de mes partenaires. Alors dans les moments difficiles, on ne pense plus à soi. On pense à tous ceux qui ont cru en nous. Et on n’a plus le choix : il faut aller au bout !
Tu dirais qu’il faut une part de folie pour être skipper ?
Oui, complètement. Mais c’est le cas pour toutes les passions, non ? Il faut une petite dose de folie pour se lancer, se dépasser, vivre des émotions aussi fortes. Et la course au large, c’est un véritable ascenseur émotionnel. On passe de hauts très hauts à des bas très bas, sans transition. La fatigue, le manque de sommeil, la pression… tout se mélange. On n’a jamais de stabilité émotionnelle et c’est ça aussi qui rend le retour à terre compliqué ! Il faut réapprendre à vivre avec des émotions plus « normales ». Mais c’est aussi pour vivre ces montagnes russes qu’on fait ce métier. Ce qui est fou, c’est que le corps et l’esprit oublient rapidement les moments douloureux et ne retiennent que le beau !
On parle souvent du travail d’équipe, mais tu as aussi entamé un vrai travail sur toi…
Oui, j’ai longtemps laissé de côté la préparation physique et mentale, parce qu’au début, j’étais surtout dans une posture d’entrepreneur : il fallait chercher des budgets, monter une équipe, convaincre des partenaires… Et à un moment, je me suis dit : « OK, maintenant qu’on est aligné pour faire le Vendée Globe, comment je fais pour performer ? »
Et là, j’ai compris que je devais aussi redevenir un sportif. J’ai donc fait appel à Olivier Brahim, préparateur physique et mental, pour me remettre à niveau. Car au final, il y a trois piliers dans ce métier : l’entrepreneuriat, la technique (le bateau), et le sportif. Et aucun ne peut fonctionner sans les autres.
Aujourd’hui, j’ai une équipe de dix personnes : des commerciaux qui cherchent des partenaires, un pôle marketing qui gère la communication, et bien sûr toute l’équipe technique qui prépare le bateau. C’est une vraie entreprise.
Je serai d’ailleurs à La Baule le 22 mai pour le Festival de l’Entrepreneur, et j’en profiterai pour partager tout ça. Parce que ce que je vis, c’est un projet entrepreneurial à part entière.
Merci à Benjamin et Olivier pour ce moment.
photos by Jean-Louis Carli / Alea / Vendee Globe, Benjamin Dutreux Vendée Globe ©